Germaine Acogny m’a raconté son histoire, celle d’une famille et de ses conflits, celle de son pays d’accueil le Sénégal, de ces moments d’exil en Europe et de retour sur ses terres. Son désir, qu’elle m’avait communiqué avant notre rencontre, de se confronter au théâtre pour sa prochaine création m’est alors apparu profondément juste.
Tu sais où tu es né, mais non où tu mourras ! Tiviglititi, le sage, Les récits d’Aloopho.
Lors de nos échanges, Germaine m’a beaucoup parlé de sa grande mère Aloopho, prêtresse du Dahomey, la mère du sacré, du puissant ! À la lecture des récits d’Aloopho, j’ai fait le rapprochement entre ces paroles tragiques, archaïques et prophétiques, et la souffrance qui imprègne les grandes figures de femmes de la tragédie grecque. Médée, son histoire, celle de chaque spectateur qui se construit encore, qui se cherche, c’est la tragédie de la vérité. C’est une reconnaissance de soi finalement, une solitude face au monde.
Germaine incarne ce que nous sommes tous devenus, des humains en transit, des exilés, des convertis et reconvertis, des gens qui se perdent et se retrouvent, où finalement l’identité n’est pas une finalité, mais bien un chemin. Combien d’Européens ne s’adaptent pas, ou ne veulent pas, ne peuvent plus s’adapter à ce continent ? Donner à voir comment nous sommes devenus ce que nous sommes, et qui nous voulons être à l’avenir. Faire dialoguer l’occident et l’Afrique, c’est trouver ce noeud de corps et de sable face à la fable du monde moderne. Les répétitions ont commencé à Toubab Dialaw au Sénégal. Pour moi ça a été une première rencontre aussi avec un pays, un continent, et à travers Germaine Acogny une histoire que je ne connaissais pas et que j’ai choisi de raconter par l’intime, le seul endroit peut-être à pouvoir contrer les idéologies porteuses d’amalgames simplificateurs. Je ne pouvais pas parler de l’Afrique du point de vue de l’expert, ou du militant, mais seulement en partant de l’impulsion des imaginaires et des caprices de la réminiscence qui se confrontent sur la place du théâtre et de la danse. Cette violence et à la fois cette douceur que j’ai ressentie lors des répétitions et mon questionnement sur ma légitimité de prendre en charge l’histoire personnelle de Germaine qui comprend un manque, une trahison, en échos à la grande histoire, a été un voyage dans le jeu du souvenir et de l’oubli. La mémoire familiale se rappelant à nous en image, en odeur, en sensation, en son. Nous parlons évidement de blessures sur scène, mais aussi comment nous, artistes, pouvons apporter un regard et un apaisement. Proposer une matérialité à cette histoire c’est aussi défier l’oubli sans amertume, accepter même de pouvoir faire le deuil de nos mythes structurants, recyclés ou encore vivants.
Mikaël Serre, mai 2015